• Une étoile qui en avait assez

     

     

    Une étoile qui en avait assez

    Conte pour l'épiphanie

     

    C'était une étoile comme les autres, ni plus petite, ni plus grande, ni plus brillante. Chaque soir, à l'heure voulue selon les saisons, elle faisait son entrée avec les autres pour scintiller toutes ensemble chacune à sa place exacte. Certaines nuits d'hiver, il fallait du courage : le froid pinçait, le vent soufflait, elle devait s'agripper pour tenir ferme. Parfois ses compagnes lâchaient et c'était triste de les voir abandonner ainsi : leur place vide faisait comme un trou dans le ciel. On les appelle les étoiles filantes. Notre étoile au contraire, son travail fini, au petit matin se retirait mais pour reparaître le soir. D'ailleurs pas question de rester durant la journée, tellement brillait et chauffait celui qui éclipsait tout le monde dès son arrivée. Donc notre étoile faisait son travail d'étoile, rien de terrible, non, mais son devoir. Elle apparaissait, disparaissait, donnait tout ce qu'elle pouvait de lumière. Surtout, elle tenait ! Mais un jour, elle se mit à pâlir. Elle continuait son petit train-train. Mais peu à peu, l'éclat n'y était plus. Notre étoile s'était mise à ruminer, elle s'était mise à douter. Ça arrive même aux étoiles de douter. Aux hommes bien sûr, mais aux étoiles aussi. Peut-être que cela leur arrive quand elles n'ont plus confiance dans les hommes et qu'elles commencent à se demander si elles servent à quelque chose. Notre étoile en était arrivée à ce point-là.

    Elle murmurait : « Voilà bien longtemps que cela dure. Je me demande bien ce que j'y gagne. A quoi bon ? Si au moins ça servait à quelque chose, à quelqu'un. Si on voyait ce qu'on fait. Non, c'est la nuit ! »

    Et toujours ce même refrain revenait.

     

    Il lui arrivait d'avoir envie de lâcher, puis au dernier moment, elle se raccrochait. Ce serait tellement triste, une place vide dans le ciel des étoiles. Oui, elle tenait encore, mais le cœur n'y était plus. Ce qui était à prévoir arriva : un soir, une place vacante. Les autres se penchèrent bien pour voir, mais rien... Pas même trace d'étoile filante dans la nuit noire. Au petit matin, quand le travail fut terminé, on cherche partout. Ce ne fut pas long ; c'est tellement bien rangé là-haut, rien n'est laissé au hasard. Aussi on comprit vite de quoi il s'agissait : la crise !... Elle n'y croyait plus. On pourrait dire une crise de foi !

     

    Chaque palpitation était un soupir : « si au moins ça servait à quelque chose, si au moins ça servait à quelqu'un ! » Comment passa la crise ? Impossible de le dire. Le langage des étoiles, c'est si délicat à comprendre. Toujours est-il que ses voisines arrivèrent à la persuader de revenir, puisqu'un beau jour, ou plutôt une belle nuit, on la vit de nouveau, bien en place, avec son éclat d'autrefois. Et elle tint bon, fidèle à son poste d'étoile dans la nuit des hommes, jusqu'à sa mort.

     

    Bien des années après, alors que depuis longtemps elle s'était éteinte et prenait son repos elle entendit appeler : « Petite étoile ! Petite étoile ! » Elle ne se retourna pas pour si peu. C'en était sûrement une qui, comme elle jadis, avait sa crise de foi et que ses voisines, profitant du repos du jour, recherchaient ; aussi notre étoile laissa courir.

     

    Pourtant, à la fin il fallut bien se rendre à l'évidence : c'était à elle qu'on en voulait. Elle se retourna, et que vit-elle ? Devinez ! Trois grands et beaux vieillards – on aurait dit des pèlerins – se tenaient devant elle.

    L'un était noir, il se présenta : « Melchior »,

    l'autre était jaune et de nommait « Balthasar »

    et le troisième blanc : « Gaspard ».

    « C'est bien vous la petite étoile ? » demandèrent-ils.

    « Qui, moi ? » répondit-elle, se demandant ce qu'elle avait bien pu faire, ou plutôt n'ayant que trop de conscience, pour son malheur, de n'avoir rien fait.

    « Oui, c'est bien vous, nous vous reconnaissons, c'est vous qui nous avez guidés durant des jours et des jours. »

    « Au regret, dit-elle, vous vous trompez. Je n'ai pas pu vous guider des jours et des jours ; pour la bonne raison, ajouta-t-elle en baissant la voix, que certaines nuits, j'ai lâché. »

    « Maintenant, il n'y a plus de doute, c'est bien vous. Oui, en effet vous nous avez lâchés quelque temps, si bien même que nous ne savions plus à quelle étoile nous vouer. Mais on ne vous en veut pas, parce que vous êtes réapparue et que nous avons pu arriver ! Oh, dites, ajoutèrent-ils, si vous le voulez bien, suppliez vos amies les étoiles de ne jamais lâcher, jamais. C'est trop grave...On ne pense jamais assez qu'il y en a qui comptent sur vous... Le principal, voyez-vous, c'est de faire avec foi ce que l'on a à faire. Oui, bien sûr, dans la nuit, c'est terrible de tenir, vous le savez, mais nous aussi, et ce que nous pouvons vous dire, c'est qu'il est peut-être plus terrible encore d'être lâché par quelqu'un en qui, sans qu'il s'en doute peut-être, on avait mis toute sa confiance. »

     
    Jean-Marie SALIOU
    (Source : Prière-Lumière ) 

     

    « Vers la nuit ou vers l'aube ?Je serai avec toi et je te bénirai - Genèse 26 : 3 »
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